VO électriques : une seconde vie encore incertaine

« Il n’existe pas de marché VO sans marché VN. » La Palisse n’aurait pas dit mieux. À travers ce truisme énoncé en 2013, Didier Payen, secrétaire général de Dekra Automotive Solutions, met le doigt sur les difficultés rencontrées quand il s’agit de fixer les valeurs résiduelles des véhicules électriques.

Sur le marché du véhicule neuf (VN), les volumes de l’électrique restent modestes et ils l’étaient d’autant plus en 2013 ou 2014, années de production des modèles qui arrivent aujourd’hui sur le marché du véhicule d’occasion (VO). Avec peu d’évènements, difficile de construire des modèles mathématiques fiables. La donne diffère sensiblement avec les hybrides : leur pénétration dans les flottes est plus ancienne et les volumes, plus importants.

Spécialiste de la collecte des déchets et de la propreté urbaine, Sepur dispose d’un parc électrique et hybride. Grâce à la LLD, Sepur n’a pas à revendre ses véhicules, et de l’aveu de son directeur matériel et achats, se préoccupe peu du marché VO. « Nous sommes davantage concernés par les valeurs résiduelles (VR). Mais celles des véhicules propres ne sont pas étudiées aussi scrupuleusement que celles des thermiques. Il vaut mieux… », souligne Philippe Crassous, à la tête de 1 500 véhicules.

Pour Sepur comme pour d’autres entreprises, le passage à l’électrique et à l’hybride a pu se faire dans des conditions économiques raisonnables grâce à une politique volontariste des prestataires. « Dans le cadre des accords tripartites, nous avons bénéficié d’un coup de pouce des constructeurs qui soutiennent notre stratégie », poursuit Philippe Crassous (voir aussi le dossier page 38).

Marché des entreprises 2017 – VP + VU
Énergie Total des ventes à décembre 2016 (JO 253) Total des ventes à décembre 2017 (JO 251) Variation en % Répartition des ventes par énergie à décembre 2017
Essence 85 021 92 275 8,5 % 11,51 %
Diesel 679 136 678 035 – 0,2 % 84,56 %
Électrique 9 441 11 811 25,1 % 1,47 %
Hybride rechargeable 3 408 5 699 67,2 % 0,71 %
Hybride non rechargeable 11 847 13 067 10,3 % 1,63 %
Total hybride 15 255 18 766 23,0 % 2,34 %
Superéthanol 105 40 – 61,9 % 0,005 %
Autres 825 901 9,2 % 0,11 %
Total 789 783 801 828 1,5 % 100,00 %

Après une année 2017 de croissance, les ventes de véhicules électriques aux entreprises ont bondi de 39,6 % sur les cinq premiers mois de 2018, soit 5 603 VP et VUL mis à la route, mais avec une part de marché de l’électrique restée stable à 1,7 %. De quoi alimenter le marché VO mais sur des périmètres toujours très restreints.

L’électrique commence à décoller

L’année 2018 devrait aider à mieux comprendre comment les véhicules électriques et hybrides se comportent sur le marché VO avec des volumes de ventes plus importants. Selon Auto-scout24, site internet d’annonces de VO implanté dans 18 pays à travers l’Europe, 53 653 VO hybrides et 7 534 VO électriques ont été vendus en France en 2017 ; leurs volumes ont augmenté de 21 et de 65 %. L’évolution des parts de marché s’est montrée tout aussi dynamique avec + 14 % pour les hybrides et + 49 % pour l’électrique. Et sur les cinq premiers mois de 2018, 24 885 hybrides et 3 520 modèles électriques ont trouvé preneurs sur un marché VO de 2 318 613 unités, soit des parts de marché de 1,07 et 0,15 % (voir le tableau page 35). Dans ces conditions, difficile d’extrapoler et de tirer des enseignements définitifs : si les croissances paraissent spectaculaires, les volumes très faibles invitent à la prudence.

Une évolution confirmée par BCAuto Enchères. Le spécialiste de la mise en valeur et de la revente de VO a écoulé 98 000 véhicules par mois en 2017. Sur ce total, seuls 25 à 40 étaient électriques. Désormais, 350 voitures électriques sont vendues chaque mois sur un total de 100 000 unités. En revanche, rappelle BCAuto Enchères, les hybrides sont commercialisés depuis de nombreuses années sur le marché VO et leur revente s’est normalisée. Directrice remarketing d’Arval France, Agnès Van de Walle constate aussi une évolution du comportement des véhicules électriques sur le marché VO. Les processus se fluidifient, le marché s’élargit et ce segment quitte peu à peu sa niche. « Sur notre plate-forme MotorTrade de vente de VO en ligne, les volumes progressent, constate-t-elle. Marchands, concessionnaires, agents et autres professionnels hésitent de moins en moins à prendre position sur ces modèles. »

>1 million de véhicules électriques vendus en 2017

En 2017 et selon un rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), il s’est vendu 1 million de véhicules électriques dans le monde. Ces statistiques recouvrent les modèles 100 % électriques et les hybrides rechargeables. Autre enseignement de cette étude, la Chine apparaît comme le pays le plus ouvert à l’électrique puisqu’elle s’adjuge plus de la moitié de ces ventes avec 580 000 unités.

Aujourd’hui, d’après l’AIE, le parc roulant de véhicules électrifiés atteint 23,1 millions d’unités dans le monde. La Chine représente 40 % de cette flotte. Cela étant, en termes de parts de marché, la Norvège surclasse les autres pays : 39 % des voitures neuves vendues dans ce pays fonctionnent à l’électricité. L’Islande et la Suède arrivent ensuite avec 11,7 et 6,3 % de parts de marché.

Deux-roues et autobus adoptent également cette technologie avec respectivement 30 millions et 100 000 unités vendues en 2017 dont, là encore, une très grande majorité sur le territoire chinois.

Les lois de roulage de l’électrique

Agnès Van de Walle note aussi la particularité des lois de roulage des modèles électriques : « À la restitution, leurs kilométrages sont beaucoup plus faibles que ceux des modèles thermiques. En fin de contrat, un véhicule électrique affiche 36 à 40 mois et 10 à 40 000 km, quand le thermique atteint plutôt les 100 000 km sur cette durée. »

Des chiffres précisés par Yoann Taitz, directeur des opérations du spécialiste de l’information automobile Autovista France : « Les véhicules électriques parcourent entre 8 000 et 10 000 km par an. Pour les citadines, le décompte atteint plutôt 6 000 km, et 15 000 à 17 000 km pour les Tesla. Le kilométrage moyen est lié à la taille du véhicule. » Avantage de cette utilisation moins intensive des véhicules électriques : elle limite les dégradations sur la carrosserie et minimise les frais de remise en état et de maintenance. « Le reconditionnement est plus rapide », résume Agnès Van de Walle. Un constat confirmé par Olivier Fernandes : « Les conducteurs de ces véhicules ont une pratique plus fluide et plus sûre, et évitent davantage les accrochages, fait valoir ce directeur général de BCAuto Enchères. Parallèlement, ces modèles sont peu kilométrés et les moteurs électriques nécessitent moins d’entretien. » Avec cette nuance apportée par Yoann Taitz : « À kilométrage comparable, la carrosserie n’est pas en meilleure état lors de la restitution. Mais ces véhicules électriques roulent moins : ceux qui reviennent sur le marché sont en bon état car ils n’ont parcouru que 8 000 km par an en moyenne. Et à l’exclusion de Paris, la recharge se fait au domicile, ce qui protège le véhicule du vandalisme. »

Véhicules d’occasion 2017 – Classement par carburant
Carburant 2017 Part de marché 2016 Part de marché Progression
Gazole 3 668 223 64,55 % 3 759 274 66,61 % – 2,42 %
Essence 1 933 517 34,02 % 1 797 554 31,85 % 7,56 %
Hybride 53 653 0,94 % 44 296 0,78 % 21,12 %
Électrique 7 534 0,13 % 4 574 0,08 % 64,71 %
Gaz 17 127 0,30 % 17 585 0,31 % – 2,60 %
Divers 3 028 0,05 % 20 108 0,36 % – 84,94 %
Source : Autoscout24, source AAA data.

Sur le marché VO, les parts du véhicule électrique et du véhicule hybride ont nettement progressé en 2017, une progression qui s’est poursuivie cette année : sur les cinq premiers mois de 2018, 24 885 hybrides et 3 520 modèles électriques ont trouvé preneurs sur un marché VO de 2 318 613 unités, soit des parts de marché de 1,07 et 0,15 %.

Le VO électrique s’exporte

Autre phénomène favorable aux VR des modèles électriques et hybrides revendus par Arval, l’export représente une part toujours plus élevée des ventes quand ces dernières se limitaient auparavant au territoire français. Ainsi l’Europe du Sud est-elle de plus en plus demandeuse. « 27 % de la totalité des VO que nous revendons partent à l’export ; ce pourcentage atteint 90 % pour l’électrique », avance de son côté Olivier Fernandes. Pour BCAuto Enchères, les principaux canaux de revente pour l’électrique sont les pays de l’Est, l’Ukraine où les taxes à l’importation sont faibles, et les pays du Nord de l’Europe dont le Danemark. D’après ce prestataire, les véhicules électriques se revendent dans des pays où le réseau de points de recharge est plus dense qu’en France. Autre caractéristique mise en avant, ces flux comprennent en grande partie des modèles Renault et plus spécifiquement des Zoé.

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La location de la batterie en question

Pour les véhicules 100 % électriques, deux modes de commercialisation se distinguent. Soit le contrat de location des batteries est transféré au nouveau propriétaire, soit ces unités de stockage lui sont revendues. « La location de la batterie constitue un frein à la revente, rappelle Agnès Van de Walle pour Arval. Pour les professionnels, elle implique des démarches administratives plus lourdes. En outre, entre la restitution du véhicule et sa revente, les loyers sont à la charge du loueur longue durée ou du marchand VO. » Un point sur lequel Vincent Vauchel, gérant du concessionnaire Infinite Automobiles, ne la contredira pas (voir le témoignage page 35).

Cette dissociation du véhicule et de la batterie est notamment une particularité des véhicules Renault qui arrivent actuellement sur le marché VO avec des batteries louées au propriétaire d’origine – sachant que Renault a récemment rendu possible l’achat de ses batteries (voir page 8).

Sur ce sujet de la location des batteries, BCAuto Enchères a travaillé avec La Poste, son principal client, et Renault pour racheter les batteries à RCI Bank, la filiale de financement du constructeur, et les revendre au nouveau propriétaire avec le véhicule. Cette solution contribue à attirer davantage d’acheteurs. Avec son pack complet intégrant VO et batterie, BCAuto Enchères a observé un regain d’intérêt des acheteurs. Aujourd’hui, le spécialiste des VO écoule entre autres des Kangoo Z.E. de La Poste dont l’ancienneté dépasse les trois à quatre années traditionnelles qui prévalent dans les entreprises pour les modèles thermiques.

Accompagner les acheteurs des véhicules électriques

Quoi qu’il en soit, le véhicule électrique doit bénéficier d’un accompagnement pour s’imposer auprès des acheteurs de deuxième main, rappelle-t-on chez BCAuto Enchères. Quand les premiers VN ont été proposés avec la location de la batterie, les acheteurs se posaient moins de questions car ces équipements étaient repris et échangés par le constructeur au moindre problème. Sur le marché VO, la commercialisation se fait sans engagement de reprise. Pour convaincre l’acheteur VO, il faut donc argumenter davantage et répondre aux interrogations sur la dégradation du service rendu par les accumulateurs et sur leur rapide obsolescence technique. « Au deuxième semestre 2018, Renault va enregistrer de nombreuses restitutions de véhicules électriques, explique Olivier Fernandes. À l’issue de cette année, le constructeur et son réseau vont mieux appréhender comment ce marché se comporte. Pour notre part, nous anticipons quelques difficultés et des défis à relever. »

Recharge voiture électrique

Une dépréciation accélérée après 36 mois

Plusieurs loueurs admettent à demi-mot qu’ils gonflent les VR des véhicules électriques pour afficher des loyers compétitifs et amorcer le marché. Et ces professionnels s’attendent à voir l’offre s’élargir, l’autonomie se renforcer et les prix d’achat baisser. Méthode Coué ou anticipation raisonnée, cette vision est partagée par de nombreux acteurs impliqués dans le développement de ces technologies alternatives.

Mais de nombreuses interrogations demeurent quant à la deuxième vie des véhicules électriques et hybrides. « Par rapport aux thermiques, il existe une plus forte sensibilité à l’obsolescence, souligne Agnès van de Walle pour Arval. Le rythme de l’innovation est plus élevé avec des autonomies qui s’accroissent rapidement. La courbe de dépréciation est différente et sa chute s’accélère au bout de 36 mois. La pente est beaucoup plus forte que celle qui prévaut pour les thermiques. »

Un constat que reformule Yoann Taitz pour Autovista France, en soulignant que l’innovation permanente pèse effectivement sur les VR de l’électrique. « C’est ce que j’appelle “l’effet smartphone“. L’obsolescence défavorise l’ancienne génération au bénéfice de la nouvelle et impacte les VR. Les nouveaux modèles électriques affichent 320 à 380 km d’autonomie. Sur le marché du neuf, cette avancée va aider à convaincre les acheteurs. Mais ces innovations desservent les véhicules électriques qui arrivent maintenant sur le marché VO. En concession, un véhicule d’ancienne génération de plus d’une année d’ancienneté offre seulement 170 km d’autonomie. L’alternative du VN avec 300 km d’autonomie présente d’autant plus d’attrait que la différence de prix n’est pas rédhibitoire. En 2025, les batteries pourraient offrir 500 ou 600 km d’autonomie. Quand ces véhicules arriveront sur le marché, la génération précédente sera dépassée et la première génération encore davantage », anticipe Yoann Taitz (voir le témoignage page 36).

Car Cost Index LeasePlan – TCO des véhicules essence, diesel et électriques en Europe
Pays Coût mensuel moyen par motorisation (en euros)
Essence Diesel Électrique
Autriche 538 497 788
Belgique 590 561 898
République Tchèque 416 425 800
Danemark 642 607 914
Finlande 630 637 955
France 472 475 836
Allemagne 515 489 788
Grèce 468 427 953
Hongrie 393 405 597
Irlande 506 474 852
Italie 667 628 986
Pays-Bas 604 686 705
Norvège 731 722 670
Pologne 445 359 634
Roumanie 353 363 890
Slovaquie 442 416 955
Espagne 477 476 952
Suède 631 568 770
Suisse 557 516 800
Turquie 492 519
Royaume-Uni 538 535 719
Moyenne 536 523 819
Source : Car Cost Index LeasePlan, mai 2018.

 

La dépréciation de l’électrique mobilise 61 % du TCO

Réalisé chaque année par LeasePlan, l’Index Car Cost mesure le poids de la dépréciation et donc l’influence du marché VO dans le calcul du TCO. Selon les experts du loueur, le TCO d’un véhicule électrique atteint 819 euros en moyenne dans les 21 pays européens pris en compte. Celui du diesel s’établit à 523 euros et celui de l’essence, à 536 euros. Le surcoût de l’électrique est dû principalement à une dépréciation supérieure : elle grimpe à 479 euros pour cette technologie contre 196 euros pour le diesel et 186 pour l’essence. En France, le coût mensuel de détention d’un véhicule électrique s’établit à 836 euros contre 472 pour l’essence et 475 pour le diesel. Toujours dans l’Hexagone, la dépréciation d’un véhicule électrique mobilise 510 euros chaque mois et pèse 61 % du TCO ; cette part atteint 41 % pour le diesel et 34 % pour l’essence. Dans ces conditions, la clef du succès de l’électrique passe par une meilleure revente sur le marché VO et donc par une amélioration des VR.

L’étude Car Cost Index compare les coûts de détention de voitures des segments B et C à partir de la base de données de la flotte du loueur. Elle intègre cette année la motorisation électrique et référence 21 pays européens. L’analyse a été effectuée sur la BMW i3, la Ford Focus/Focus Electric, le Hyundai Ioniq, la Nissan Leaf, l’Opel Corsa, les Renault Clio et Zoé, la Smart Fortwo et les Volkswagen Golf/e-Golf et Polo. LeasePlan y a intégré l’ensemble des coûts liés à la détention d’un véhicule – carburant, amortissement, taxes, assurance et entretien – calculés sur trois ans et 20 000 km par an.

Le véhicule électrique, une question de patience

Malgré ces handicaps, les équipes d’Arval restent confiantes : « Généralement, les transitions prennent du temps, estime Jean-François Codina, directeur des nouvelles mobilités pour le loueur. Pour que l’offre électrique émerge et s’affirme, et pour que les usages évoluent, il faudra patienter. Les politiques industrielles mettent dix, quinze ou vingt ans à porter leurs fruits. L’électrique prendra bel et bien sa place en complément des autres motorisations, mais il faudra attendre. »

Chez les constructeurs français, les avis divergent sur l’avenir de l’électrique. Renault reste très confiant et mise sur le développement de ce marché. Interrogé par nos confrères d’AutoActu en mars dernier, Thierry Bolloré, directeur général adjoint de Renault, affirmait calculer la rentabilité de ses futurs modèles électriques en excluant les aides des différents pays. Pour la marque au losange, à l’horizon 2022, la marge opérationnelle devra être de 7 % sur l’électrique comme sur le thermique.

Quel avenir pour l’électrique ?

Face à Renault et par la voix de son président du directoire, le Groupe PSA a émis de sérieuses réserves sur l’avenir de l’électrique. Pour Carlos Tavares, cette technologie devra lever certains doutes sur les métaux rares et leurs conditions d’extraction, sur le mix énergétique des différents pays, sur la véritable empreinte carbone du puit à la roue et sur le recyclage des batteries. « Ne va-t-on pas se retrouver dans dix ans à se dire que l’on a loupé quelque chose de fondamental ? », s’interroge-t-il. Une question posée à l’ensemble de l’industrie automobile et aux dirigeants politiques.

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