La météo du TCO des véhicules d’entreprise : « Le WLTP demeure la grande inconnue »
Propos recueillis par Guillaume Pommereau.
Monsieur Bacci, vous gérez les 2 200 véhicules d’Adecco. Quels changements devraient marquer votre flotte cette année ?
L. Bacci – Mes principales préoccupations sont liées aux carburants et au WLTP. Sur ce double sujet, nous nous situons à un moment charnière. Notre flotte comprend essentiellement des véhicules de fonction, ce qui donne la possibilité de varier les carburants. Mais avec une double question : à quel moment dois-je introduire de l’essence et à quel moment faut-il faire basculer la car policy ?
Comment répondez-vous à cette double question ?
L. Bacci – Nous avons construit le catalogue 2019 en prenant tous les critères classiques dont le CO2 pour sélectionner les véhicules. Ce catalogue est très abouti et la car policy est verrouillée. Nous avons imposé l’essence cette année pour certaines catégories et pour les conducteurs qui parcourent moins de 20 000 km par an. Les catégories supérieures, qui comprennent par exemple des SUV, demeurent logiquement en diesel. L’essence concernera plutôt de petits véhicules attractifs pour de petits rouleurs et avec des émissions correctes de CO2. De façon générale, je pense que nous allons rester en diesel encore deux ans, avec notamment en ligne de mire l’alignement des fiscalités essence-diesel en 2021.
Les constructeurs vous aident-ils dans cette démarche ?
L. Bacci – Ils bénéficient d’un avantage énorme quand ils nous donnent les émissions précises de leurs véhicules en WLTP. À l’opposé, certains se montrent opaques alors que nous recherchons de la transparence et que nous leur commandons plusieurs centaines de modèles par an. Auprès de constructeurs de notre panel, je n’ai pas pu commander certains modèles et les livrer aux clients internes parce que les constructeurs ne pouvaient pas répondre à nos questions ; ils sont aussi en situation d’attente bien que le sujet ne soit pas nouveau pour eux et qu’ils produisent ces véhicules.
Monsieur Martinoli, partagez-vous ces interrogations pour les 18 000 véhicules d’Orange ?
P. Martinoli – Avec le recours au NEDC corrélé, le passage au WLTP aura un impact relativement limité en 2019. Mais la situation pourrait se compliquer dans les années à venir avec jusqu’à 30 % de hausse du niveau de CO2 pour certains véhicules. En 2019, nous avons choisi de ne plus avoir que de l’essence en catalogue. En conséquence, les émissions de CO2 s’accroissent immanquablement et nous ne pouvons pas maintenir à 120 g par véhicule le niveau maximal. Nous nous sommes donc fixé cette année l’objectif de ne pas dépasser une moyenne de 106 g pour la flotte. Ce qui amène à réduire l’offre du catalogue remis à jour tous les six mois, avec un choix moins large pour les conducteurs.
Monsieur Maubé, que vous inspirent ces réflexions ?
R. Maubé – La mise en place du WLTP a été repoussée d’un an, ce qui laisse un peu de temps aux constructeurs pour se mettre aux normes et optimiser leurs motorisations. Ils ont déjà retiré de leurs catalogues les modèles trop émetteurs. En août dernier, ils ont aussi bradé ces véhicules, ce qui explique les surventes de ce mois. Mais le WLTP n’en demeure pas moins la grande inconnue. En Finlande, le WLTP est opérationnel depuis octobre 2018 et selon un benchmark de Jato Dynamics, on a déjà constaté une hausse moyenne de 9,6 g de CO2 entre les cycles NEDC et NEDC corrélé, et de 25,3 g entre le NEDC corrélé et le WLTP, sur un panel de véhicules courants. Appliqué selon les barèmes actuels du malus et de la TVS en France, ces hausses pourraient entraîner une multiplication par six du malus et par trois ou quatre de la TVS, avec à la clé une augmentation du TCO des véhicules de 20 à 30 %. Cette explosion des coûts et donc des budgets flottes ne sera pas tenable.
Quelles en seront les conséquences ?
R. Maubé – Pour les constructeurs, deux questions se posent : peuvent-ils optimiser leurs motorisations cette année ? Peuvent-ils commercialiser des hybrides aux prix des thermiques ? Ils savent qu’ils ont environ dix mois pour sortir des moteurs avec des malus et des TVS raisonnables. Sinon, les clients devront surpayer ou ces constructeurs sortir du marché des flottes qui représente en France un véhicule neuf sur deux.
Monsieur Hamelin, vous gérez les 22 000 véhicules de la SNCF, soit essentiellement des VU. Le passage au NEDC corrélé puis au WLTP vous affecte-t-il ?
H. Hamelin – Oui, d’autant qu’après les VP en 2018, ce changement touchera les VU en septembre 2019. Au sens strict, il n’y a pas d’impact fiscal pour nous parce qu’il s’agit de VU. Mais la SNCF s’est engagée à baisser ses émissions globales de CO2, ce qui implique les véhicules. Et nous sommes très attentifs à ce paramètre qui fait partie des critères des appels d’offres. En outre, nous devons tenir compte des accès de plus en plus restreints aux centres urbains. À partir de 2020, les véhicules Crit’Air 4 et 5 ne pourront plus circuler en Île-de-France, ce qui concerne certains de nos VU.
Face à ce constat, quelle est votre solution ?
H. Hamelin – Tout l’enjeu est de disposer d’une offre d’énergies alternatives au diesel avec l’essence et l’électrique. Nous allons très bientôt intégrer des fourgons électriques, en l’occurrence des Master Z.E. et des eTGE, pour procéder à des expérimentations. Ces fourgons correspondent bien à nos besoins et peuvent être un levier intéressant pour verdir la flotte, d’autant que notre kilométrage moyen reste assez faible. En revanche, il n’existe pas de fourgons et de grands fourgons essence.
P. Martinoli – L’une de nos plus grandes craintes est en effet de ne plus pouvoir entrer dans les grandes villes. En 2024, les diesel ne pourront plus accéder à Paris. Mais avec les véhicules industriels, les nacelles ne sont proposées que sur des diesel et les moteurs doivent tourner pour les faire fonctionner. Nous travaillons avec des nacelles électriques mais il faudrait que les véhicules porteurs le soient aussi. De même, nous aurions besoin de porteurs électriques ou hybrides. En utilitaires, nous avons besoin de fourgons électriques ou essence. Mais les constructeurs ne suivent pas tous et les français ont eu du mal à anticiper ces évolutions. Un constructeur étranger a d’ailleurs remplacé un français pour nous équiper en fourgons essence.
Il faut donc disposer de motorisations plus diverses.
P. Martinoli – Il faut avoir de quoi répondre au cas par cas à tous les besoins. Il n’y a pas de solution universelle et nous allons vers des niches : électrique, essence, etc. Nous regardons aussi l’évolution de l’hydrogène mais il n’y a pas encore d’offre et d’infrastructures de ravitaillement. Et nous regrettons que le rééquilibrage de la fiscalité essence-diesel prenne autant de temps alors que le gouvernement ne cesse de répéter qu’il faut en finir avec le diesel. Mettre un trop grand nombre de diesel à la route est une catastrophe écologique mais aussi technique et financière lorsque ces modèles roulent peu.
Du côté des loueurs, anticipez-vous un avantage cette année pour l’essence ?
L. Bacci – À l’heure actuelle, les loyers du diesel demeurent compétitifs parce que le marché VO se tient bien. Mais la situation risque de basculer brusquement et la question reste de savoir quand. Lorsque le marché va se retourner, les loueurs vont baisser les valeurs de reprise ; ils devront donc récupérer ces pertes quelque part. Dans ce contexte, nous leur demandons de verrouiller les prix sur six mois et je pense demander un engagement plus long. Et il faut rester très attentif aux grilles de fluidité qui peuvent constituer un levier de récupération pour les loueurs.
R. Maubé – Logiquement, les VR de l’essence devraient monter. Mais il faut bien que les loueurs se rattrapent quelque part en faisant payer la perte de VR du diesel. Ce sont donc les acheteurs de véhicules essence qui vont aussi payer parce que les loueurs n’augmentent pas pour autant la VR de l’essence qui paradoxalement recule aussi d’après les benchmarks communiqués par des flottes… Ce qui se traduit évidemment par des loyers plus chers. Normalement, en passant du diesel à l’essence, on devrait voir les loyers se réduire puisque les modèles essence sont moins chers. Mais ce ne sera pas forcément le cas et cela dépendra de chaque loueur.
Cette situation peut-elle renforcer la concurrence au profit des flottes ?
R. Maubé – Le marché de la LLD multi-marques se partage à 90 % entre quatre acteurs, celui de la LLD des captives à 80 % entre deux grands acteurs. Ceci crée une situation de faible concurrence propice à des tarifications élevées sur marché de la LLD porteur mais oligopolistique. Pour leur part, les constructeurs sont touchés par la très forte incertitude liée au WLTP et vont donc se battre pour gagner des parts de marché et transformer leur modèle économique. Pour ce faire, ils sont à la recherche d’offres élargies de LLD et de mobilité. Cette évolution peut bousculer le marché des loueurs mais avec des limites parce que les loueurs sont aussi clients des constructeurs. Dans ce contexte, les acheteurs gestionnaires de flotte expérimentés et avisés, qui savent pratiquer l’art de la négociation, sauront tirer leur épingle du jeu et profiter des opportunités de marché.
Orange électrique
Pour diminuer ses émissions de CO2, Orange favorise les véhicules électrifiés, au nombre de 700 dans sa flotte. « D’autant que certains modèles possèdent maintenant une autonomie de 350 km, ce qui peut suffire pour une semaine d’utilisation en zone urbaine, explique Patrick Martinoli. Et l’offre s’élargit. Nous attendons avec impatience la 208 électrique en VP-VU pour offrir une alternative à la Zoé. Ce modèle est prévu en fin d’année. » Pour mémoire, Orange dispose de 10 000 dérivés de VP et un important travail d’analyse a montré que certains métiers en interne pouvaient désormais se mettre à l’électrique. « Avec tous ces éléments, nous avons des arguments pour les convaincre, complète Patrick Martinoli. Pour pousser les entreprises à passer à l’électrique, nous avons calculé que le prix du baril doit rester au-dessus des 65 dollars. Mais le problème avec le carburant, c’est que nous ne savons pas ce qu’il va se passer », conclut ce responsable.
Les pneus en question
Attendue au premier semestre 2019, la loi montagne devrait permettre aux préfets de certains départements d’imposer les pneus hiver « Dans les régions extrêmes, la SNCF peut recourir aux pneus hiver. En parallèle, nous réfléchissons à généraliser le pneu quatre-saisons sur nos véhicules à la livraison », explique Hugues Hamelin. Ce dernier constate de fait que dans des régions comme l’Île-de-France, le pneu quatre-saisons offre de rouler toute l’année dans des conditions météorologiques variées, et avec plus de sécurité pendant les épisodes neigeux. Et dans les zones intermédiaires, le pneu quatre-saisons évite la monte et la démonte des pneus qui prennent du temps/agent. « Dans ce contexte, nous faisons un gain sur la sécurité des conducteurs, tout en simplifiant le fonctionnement et en optimisant la gestion. La question n’est donc pas de savoir si le pneu quatre-saisons génère un surcoût facial, mais plutôt de raisonner en coûts complets et d’intégrer les impacts positifs sur le risque routier et les gains en coût de gestion », conclut Hugues Hamelin.
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