Constructeurs automobiles : vers l’usine verte
Pour répondre aux attentes des décideurs politiques et respecter les législations, mais aussi pour gagner en compétitivité et améliorer leur image de marque, les constructeurs européens sont contraints de se pencher sur leur performance environnementale. Et tous ont désormais un volet développement durable dans leur feuille de route, y compris pour verdir leur production.
Dans son plan stratégique pour 2022, le Groupe Renault a ainsi pris l’engagement de diminuer son empreinte carbone à hauteur de 25 % par véhicule produit entre 2010 et 2022 pour l’ensemble de ses activités et sur tous ses sites dans le monde. « Cet indicateur est déployé dans toutes les fonctions, y compris la production. Entre 2010 et 2017, nous avons déjà réussi à réduire notre empreinte carbone de 3 % par an », précise Jean-Philippe Hermine, directeur stratégie et plan environnement du Groupe Renault.
Consommer moins de ressources
Le Groupe BMW s’est de son côté engagé à restreindre sa consommation de ressources par véhicule produit de 45 % en 2020 par rapport à 2006. Pour sa part, Volvo Cars souhaite rendre ses activités opérationnelles climatiquement neutres pour 2025. Et le Groupe Volkswagen veut faire reculer de 45 % son impact environnemental en 2025 par rapport à 2010.
Autant de chiffres qu’il n’est pas évident d’associer à des progrès concrets. D’autant que contrairement aux nuisances sonores et à la qualité de l’air rejeté, les constructeurs n’ont pas de contraintes réglementaires à respecter pour l’eau ou l’énergie employées dans leurs usines. Néanmoins, ces aspects sont de plus en plus encadrés, entre autres de par l’évolution des normes ISO (voir l’encadré ci-dessous) qui certifient les performances des sites de production.
Ces dernières années est née une génération d’usines « vertes », conçues pour limiter l’impact environnemental de la production tout en optimisant les coûts. Parmi celles-ci on peut citer l’usine de Toyota à Valenciennes, celle d’Audi à Bruxelles ou celle de Renault à Tanger. Plus récemment en janvier dernier, l’usine de moteurs Volvo de Skövde en Suède est devenue climatiquement neutre.
« Il est plus compliqué d’arriver à la neutralité carbone dans des usines préexistantes », explique Jean-Philippe Hermine pour Renault. Selon ce dernier, deux tiers des progrès sont dus à l’optimisation des process ou de la consommation énergétique, et un tiers à des investissements dans de nouveaux modes de production d’énergie ou dans du recyclage.
Le choix des énergies renouvelables
Néanmoins, entre autres par souci d’image, il n’est pas surprenant que les usines mettent en avant le recours aux énergies renouvelables. « Concrètement, nous avons accru le taux d’énergies renouvelables utilisées dans la production avec un objectif de 20 % en 2020, expose Jean-Philippe Hermine pour le losange. Nous avons en outre un parc photovoltaïque important dans nos usines françaises, espagnoles, brésiliennes et coréennes. »
L’usine Audi de Györ en Hongrie est quant à elle alimentée en chaleur par une usine géothermique située à proximité, dans la ville de Pér. Celle-ci lui fournit 80 000 MWh d’énergie par an, soit de quoi couvrir 60 % des besoins et diminuer de 19 800 t les émissions de CO2. En pratique, un puits d’environ 2 400 m de profondeur remonte de l’eau chaude à une température de 100 °C, eau ensuite pompée dans le système de chauffage.
Certaines usines ont déjà atteint le 100 % renouvelable. L’usine slovaque de Kia serait entièrement alimentée par des énergies renouvelables, tout comme le site d’assemblage de FCA (Groupe Fiat) à Cassino en Italie ou encore les usines PSA de Trnava en Slovaquie et de Porto Real au Brésil.
Le Groupe BMW affirme que tous ses sites de production européens sont alimentés uniquement en énergies renouvelables, notamment grâce à des garanties d’origine. Et cet objectif devrait être atteint à l’échelle mondiale en 2020. « En 2017, nous avons augmenté l’emploi d’énergie renouvelable pour l’approvisionnement en électricité à 81 %, contre 63 % en 2016 », complète le constructeur. Qui inaugurera en 2019 une usine zéro carbone destinée à produire la dernière Série 3 à San Luis Potosí au Mexique. La majeure partie de l’électricité consommée devrait provenir d’une centrale solaire implantée sur le terrain de l’usine.
Éliminer l’énergie fatale
Mais selon Jean-Philippe Hermine de Renault, le plus important pour économiser l’énergie reste le travail de détail mené dans chaque activité : « Nous cherchons à éliminer l’énergie perdue, ou “énergie fatale”. » Il s’agit alors de capter l’énergie non consommée dans un processus pour en alimenter d’autres. Par exemple, Renault récupère l’énergie des étuves de séchage des véhicules pour chauffer ses bâtiments.
Dans l’usine BMW de Land-shut en Allemagne, avant d’être envoyés à la fonderie, les lingots d’aluminium sont préchauffés dans des chambres à 400 °C grâce à la chaleur issue d’autres processus. Selon BMW, cela économiserait d’une part plus de 11 000 MWh d’énergie et près de 350 000 euros par an ; et d’autre part cela limiterait le temps nécessaire au processus de fusion et donc les émissions de CO2.
Dans l’usine Audi de Bruxelles, la chaleur résiduelle émise par la cheminée de la chaudière sert à préchauffer les circuits d’eau chaude pour une économie de 250 MWh d’énergie par an, tandis que celle de la centrale de production d’électricité du site est récupérée pour chauffer en partie les bâtiments.
Bien éteindre la lumière
Baisser la consommation d’énergie passe aussi par l’éclairage. Le Groupe Renault déploie actuellement un vaste plan de basculement de ses usines vers les LED. « Les LED réduisent la consommation électrique d’environ 65 % en comparaison des technologies remplacées », affirme Jean-Philippe Hermine. Et le constructeur achète désormais une certaine quantité de lux, et non plus des lampes et des ampoules, pour bénéficier des progrès technologiques plus rapidement.
Le groupe BMW est un peu plus avancé : il a terminé en 2017 l’installation de LED dans tous ses sites de production. Et Audi va plus loin en proposant à ses employés de contrôler l’intensité lumineuse des LED qui illuminent les halls de production de son usine bruxelloise.
Des performances à mesurer
Les constructeurs s’outillent pour évaluer leurs performances économiques et écologiques. « Nombre d’acteurs travaillent sur le développement d’une “industrie 4.0” pour optimiser la production, consommer moins d’énergie et gagner du temps », note Geoffroy Martin, responsable projets matériaux, manufacturing & systèmes et chaînes de traction & gestion de l’énergie au sein du pôle de compétitivité Mov’eo. Ce qui passe par la mesure de la consommation énergétique des équipements via l’instrumentation de tous les appareils des usines. « Jusqu’à présent, les industriels avaient des difficultés à recueillir ces données. Toutefois, de nombreuses entreprises réfléchissent à l’agrégation des données issues des machines de production, comme nos membres Ellistat ou Prodeo », avance Geoffroy Martin.
Surveiller la consommation d’eau
Économiser l’eau est de même une démarche essentielle pour une usine verte. Les sites cherchent donc à maîtriser leur consommation par véhicule produit et à retraiter in situ leurs eaux usées pour les réemployer.
L’usine Audi de San José Chiapa au Mexique collecte et traite 100 % des eaux usées issues de ses activités. Celles-ci sont d’abord traitées pour éliminer particules et métaux lourds, puis passent dans une station d’épuration biologique afin d’en retirer les composants organiques, avant d’en séparer les contaminants restants. Leur réutilisation entraîne jusqu’à 100 000 m3 d’économies par an. Enfin, un réservoir d’une capacité de 240 000 m3 récupère l’eau durant la saison des pluies, d’avril à septembre.
Chez BMW, les postes les plus consommateurs d’eau sont les installations sanitaires pour le personnel (54 %), l’évaporation, principalement dans les tours aéro-réfrigérantes (28 %), et les processus de production, en particulier dans les ateliers de peinture (18 %) (voir l’encadré page 67).
2,22 m3 d’eau par véhicule chez BMW
En faisant appel à des tours de refroidissement fermées, le constructeur a peu à peu diminué la consommation d’eau des nouveaux bâtiments de Dingolfing et Munich en Allemagne. Il emploie de plus des eaux usées traitées pour les ateliers de peinture de son site de Tiexi en Chine. BMW a restreint de 31,9 % sa consommation d’eau en 2017 par rapport à 2006, à 2,22 m3 d’eau par véhicule produit. Pour atteindre l’objectif 2020 de – 45 %, le groupe mise sur deux mesures principales : le remplacement de la découpe au jet d’eau par un procédé sans eau dans les fonderies, et l’utilisation des eaux usées traitées à la place d’eau douce dans son usine de Spartanburg aux États-Unis.
Recycler plutôt que rejeter l’eau
Mais attention, rien n’est garanti ! Le groupe Kia Motors investit depuis les années 2000 dans de nouveaux modes de consommation et d’utilisation de l’eau. Malgré tout, sa consommation globale a augmenté de 7,7 % entre 2016 et 2017, et de 22,2 % entre 2003 et 2017. « Cependant, elle a reculé de 19,4 % par unité produite en 2017 comparé à 2003 », nuance le constructeur coréen.
La consommation d’eau est très surveillée dans les pays en stress hydrique. « Pour ne pas créer de déficit hydrique supplémentaire pour les populations, nous recyclons l’eau que nous employons plutôt que la rejeter. Un système de bouclage permet de nous autoalimenter en eau en quantité et de qualité suffisante », déclare Jean-Philippe Hermine pour le Groupe Renault. Sur le site de Tanger, 100 % de l’eau industrielle est recyclée de cette façon. En parallèle, « nous avons réussi à réduire les besoins de consommation d’eau de 70 % en créant un cycle fermé pour l’eau de refroidissement, et en effectuant des traitements assez poussés de filtration afin de réutiliser l’eau le plus longtemps possible pour l’usinage de pièces mécaniques », ajoute ce directeur. L’eau doit toutefois être renouvelée de temps en temps, c’est pourquoi le site dispose d’une station d’épuration.
Reste ensuite à transposer ces pratiques dans les autres sites du constructeur, en tenant compte des spécificités de chacun. « Les problématiques diffèrent d’une usine à l’autre : nous recyclons l’eau dans les pays en état de stress hydrique, les déchets dans les pays où l’infrastructure manque. En revanche, en France, dans l’usine de Maubeuge (59) où il pleut beaucoup plus, nous recyclons l’eau de pluie. Notre approche part des enjeux locaux, détaille Jean-Philippe Hermine. Mais de manière globale, nous avons pour objectif de diminuer de 20 % notre consommation d’eau entre 2013 et 2020 par véhicule produit pour l’ensemble du Groupe, et avons déjà réussi à la baisser de 9 % à fin 2017. »
À terme, les sites de production pourraient devenir autosuffisants en eau. Ce serait déjà le cas pour l’usine FCA de Cassino, notamment grâce à une technologie de lavage à sec dans l’atelier de peinture. Le site Toyota de Valenciennes a quant à lui réussi à être autonome en eau jusqu’à 333 jours d’affilée.
Récupérer les eaux de pluie
« Nous avons fait reculer la consommation d’eau de 80 % en créant deux grands bassins d’orage pour récupérer les eaux de pluie, relate David Fillon, directeur en charge du support et du développement des opérations industrielles de l’usine. Ces eaux de pluie sont traitées et utilisées dans les processus de production dont la peinture. Enfin, nous avons développé des systèmes pour recycler l’eau de production à hauteur de 40 %. Notre station d’épuration traite tous les ans l’équivalent annuel des effluents d’une ville de 15 000 habitants » (voir l’article page 69).
Les usines automobiles cherchent également à limiter leur production de déchets. Le site Toyota de Valenciennes en retraite l’ensemble : « Nous envoyons zéro déchet en décharge, se félicite David Fillon. Dans les ateliers, nous avons au moins cinq poubelles pour le papier, le métal, la nourriture, le plastique ou le carton. Nous avons donc déjà un tri important à la source. Une entreprise récupère ensuite tout ce qui sort du site et finalise le tri pour l’envoyer vers des filières de revalorisation. Par exemple, elle revalorise sur le marché de l’acier les chutes métalliques issues de la presse en externe. »
Ce type de fonctionnement est aussi valable pour l’usine d’assemblage de FCA à Cassino depuis 2000, pour l’usine Kia de Sohari en Corée du Sud depuis 2008, ou encore pour les usines BMW de Leipzig (Allemagne), Goodwood (Royaume-Uni) et Rayong (Thaïlande). Les sites PSA de Trnava, Sochaux, Mulhouse, Poissy, Hérimoncourt et Valenciennes n’enfouissent plus aucun déchet, à l’exception de ceux pour lesquels la législation l’exige. Plus généralement, le taux de recyclage du coréen Kia tourne autour de 90 % depuis 2007.
Des déchets à recycler et valoriser
Le Groupe BMW a quant à lui déjà atteint l’objectif qu’il s’était fixé pour 2020, à savoir – 45 % de déchets comparé à 2006. « Les déchets de production qui ne peuvent être recyclés ou réemployés s’élèvent en moyenne à 3,86 kg par véhicule produit en 2017, contre 3,51 kg en 2016 », précise le constructeur. En Chine, cela passe entre autres par la valorisation du sable de fonderie utilisé pour préparer les moules dans la production de béton.
Le groupe Renault va encore plus loin : « Dès que cela fait sens du point de vue économique et logistique, nous créons des boucles matières, comme pour le métal et maintenant pour le plastique, témoigne Jean-Philippe Hermine. Ainsi, nous alimentons nos fonderies avec des déchets métalliques issus de l’emboutissage ou de l’usinage des moteurs. »
Construire des boucles matières
Autre illustration : l’usine PSA de Vesoul (70) a combiné recyclage et réduction des émissions de CO2 en générant 15 968 MWh en 2017, soit 20 % de la consommation énergétique du site, via la valorisation des déchets de bois produits sur place. Dans un autre domaine mais toujours dans le Groupe PSA, les machines et outillages non exploités peuvent être réemployés au sein d’une même usine, sur d’autres sites ou encore revendus à l’extérieur.
Des procédés de recyclage (ou de réemploi) qui devraient se multiplier en France suite à la publication de la feuille de route du gouvernement pour l’économie circulaire dont plusieurs mesures concernent la filière automobile (voir l’article page 70).
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